Un siècle de gloire:
Lyon, capitale des Gaules, fut aussi pendant longtemps une capitale de la bière, sous la protection de Sucellus, le "dieu au tonneau", divinité gauloise des brasseurs et des tonneliers, très présent dans la région.
L'activité brassicole semble déjà importante au moyen-age au XVIII ° siècle. Mais c'est sous l'empire que plusieurs établissements font la réputation de la ville, dont la brasserie Saunier et son célèbre "Porter noir" exporté jusqu'en Suisse "favorable à l'estomac et à la digestion".
La bière de lyon:
On dit même qu'une brasserie employait en 1810 plus de 300 personnes,
un record pour l'époque. Un débit installé au
dessus de la brasserie pouvait accueillir de 600 à 700 personnes. Elle
perpétuait ainsi la tradition médiévale où l'on
buvait la bière sur le lieu de production.
La bière de Lyon était une bière de couleur très
ambrée, moelleuse voire même parfois sucrée car assez maltée.
Elle contenait en général 36 à 38 kg de malt à l'hectolitre,
mais certaines bières pouvaient en contenir 50 à 60. Elle était
aussi fortement houblonnée ( 500 gr de houblon allemand par hl de bière).
La bière vendue à Lyon comme "bière de débit"
subissait une fermentation de 4 à 5 semaines.
La bière dite "de garde" plutôt vendue à l'extérieur,
n'était brassée qu'en hiver et passait par une fermentation de
4 à 5 mois. Sa densité alcoolique variait de 4% pour la "bière
forte" à plus de 5% pour la "bière très forte".
Toutes les bières lyonnaises étaient également très
saturées. On voit aussi la Brasserie lyonnaise de Combalot fabriquer
en 1836 une bière de mars d'excellente qualité.
A partir de 1830, les brasseries souvent peu importantes et mal équipées,
subissent l'influence de quelques brasseurs extérieurs, en particulier
alsaciens, qui s'installent à Lyon.
C'est le début des grandes et célèbres brasseries de Lyon.
En 1851, un brasseur écrit : "C'est une grande cité,
quoique au centre d'une contrée vinicole ne possèdant pas moins
plusieurs brasseries importantes et renommées par la qualité de
leur bière qui s'exporte au loin dans tout le centre de la France
.La
bière forte que l'on y brasse depuis des siècles mérite
bien la renommée qu'elle a acquise en France".
A cette date la bière de Lyon a la même réputation que celle
de Strasbourg. Son marché est surtout tourné vers la ville elle-même
et le centre de la France car elle subit la concurrence de Marseille, Beaucaire
ou Nîmes au Sud, de la Lorraine au Nord.
Trente six brasseries en 1861:
La croissance de la fin du XIX° siècle s'explique par l'essor industriel
que connaît toute la région, la crise du phylloxéra et la
qualité reconnue des bières: on trouve 11 brasseries à
Lyon en 1838, jusqu'à 36 en 1861, 11 en 1870 avec
le début de l'industrialisation.
La "bière de Lyon" représente encore un type de bière
originale en France, mais elle disparaît progressivement à la fin
du XIX° siècle: L'industrialisation, l'arrivée de bières
lorraines ou étrangères, le goût pour la bière de
fermentation basse et blonde, obligent les brasseurs lyonnais à jouer
la même carte que les autres brasseurs français, au détriment
de l'originalité et du caractère.
Mais la ville y gagne en notoriété et se couvre de dizaines de
"brasseries", souvent propriétés de brasseurs eux-mêmes
(appelés les "mécènes du houblon") où
l'on déguste toutes les bières locales (blondes et brunes) dans
un décor luxueux : la Brasserie Georges, bien sûr, la Brasserie
Fritz, la Brasserie du Parc, le Bar Américain, le Café des négociants.
Le roi Gambrinus y est partout présent et rivalise avec Bacchus, qui
règne sur les bars à vin.
C'est ainsi qu'à la fin du siècle, Lyon est encore le deuxième
centre brassicole français après Paris et constitue une étape
importante pour l'apprentissage du métier de brasseur, sur la route du
Tour de France, avant Beaucaire et Marseille.
Mais on assiste à la création de succursales de brasseries marseillaises
ou étrangères.
En 1881, le brasseur marseillais Eugène Velten construit à
Lyon une brasserie qui devait devenir la plus grande de France, avec une capacité
de 100 000 hl. Ce chiffre ne sera jamais atteint. En 1893, les Brasseries Hofferr
et Rinck se modernisent. Et en 1897, une société anglaise
fait construire une installation modèle de 30 000 hl, les "Brasseries
et Malteries Lyonnaises".
Il existe encore sept brasseries à Lyon et en 1890 (toto), elles
ne sont plus que cinq: la Brasserie et Malterie Lyonnaises (devenues société
franco-belge), la société Bélédin et Radisson, la
brasserie Georges, la brasserie Winckler et la société Lyonnaise
des anciennes Brasseries Rinck (qui fabrique aussi une bière ferrugineuse
!).
A la veille de la seconde guerre mondiale, elles sont encore 4 à brasser
à Lyon, avec des capacités de production très importantes.
La guerre et le début des années 50 marquent le début de
la crise et des fusions, et l'arrivée des grands groupes nationaux, puis
la disparition définitive de l'industrie brassicole.
Aujourd'hui, l'heure est à la micro brasserie (comme au moyen-age), mais
Lyon peut s 'enorgueillir de posséder un patrimoine gambrinal exceptionnel:
à coté de la Brasserie Georges subsistent toujours de nombreux
débits de bières qui ont su préserver façades, peintures,
sculptures, vitraux, décors rappelant les heures de gloire de la brasserie
lyonnaise.
Extrait de "La Feuille de Houblon" N°73 - Janvier 1997